Nanou, réalisation d’un portrait d’une femme libre, par Bernard Fau

 Pour moi, l’année 2023 débute avec un film-hommage d’une femme, Nanou Lyonnard, qui vient de partir, il y a juste un mois, et rappeler que la vie est bien une histoire de rencontres. En 2018, à Nice, alors que le carnaval défilait, j’étais, avec mes deux cadreurs, chez Nanou , 90 ans et devenue aveugle sur la fin de sa vie, pour enregistrer les souvenirs de son parcours singulier, celui d’une femme libre de l’après guerre. 

Elle fut pour moi et ceux de ma génération, Nanou Findlay, la compagne de Jack Findlay le meilleur pilote « privé » des 70’s,  avions découvert dans le film culte de Jérôme Laperrousaz, « Continental Circus » sorti en salles 1972. Ce film, couronné du prix Jean Vigo, la révéla, tout autant que Jack, à un public plus large que celui des passionnés.

Pour se remettre dans le contexte, en 1972, découvrir cette aventure était une première, la moto à la télé, ça n’existait que lorsqu’un coureur se tuait. Mais pour moi qui démarrais la course, c’est encore un souvenir inoubliable. Une sorte de madeleine de Proust, que je n’ai jamais lu, d’ailleurs !

Mais lorsque 3 ans plus tard, j’étais au départ de mon premier Grand Prix, à Charade, avec tous les champions qui m’avaient tant fait rêver, être sur la ligne de départ derrière Jack Findlay était déjà un accomplissement.

Si c’est avec le temps que l’on prend la mesure de ce sentiment, celui de retrouver Nanou en Mars 2018 était bien réel et émouvant.

Au téléphone, j’étais dans mes petits souliers lorsque je lui proposai un rendez vous pour venir la filmer, elle qui fut une belle femme est aujourd’hui âgée et handicapée. Elle accepta spontanément et j’imaginais qu’avec le repérage des lieux, j’enchaînerais la prise de vues. Mais c’était bien mal la connaitre, et ne s’étant pas apprétée, elle nous invita à revenir le lendemain. Et ce fut une Nanou, maquillée, coiffée et élégante qui nous reçut avec la plus grande gentillesse et disponibilité. 

Aujourd’hui je me félicite de n’avoir pas raté ce rendez vous…

Aujourd’hui je me félicite de n’avoir pas raté ce rendez vous qui me permit de  d’approfondir le parcours cette femme hors du commun et avec laquelle je ne pouvais qu’être en phase. Je l’ai peu connue du temps où j’étais sur les circuits du Continental, mais elle était telle une icône à mes yeux et en la retrouvant 45 ans plus tard, j’avais l’impression de l’avoir toujours connue et ne l’avoir jamais quittée.

Et ce n’est pas le hasard qui m’avait conduit vers elle en cette année 2018, mais le désir de revenir sur ce qui fut pour moi, et pour elle aussi en l’écoutant, notre plus belle histoire d’amour : la course moto et ceux qui la partagent.

Comment ne pas penser à Barbara, lorsque adolescent,  je l’avais vue sur scène chanter « Ma plus histoire c’est vous ». Oui, Nanou avait aimé et préféré les pilotes. Et bien sûr, loin d’être la groupie de service mais plutôt la femme qui admire et materne, elle qui avait décidé de ne pas fonder de famille. La sienne, c’était ce monde de la course avec ses hommes possédés, ses femmes et leurs enfants partageant les sorts parfois tragiques  qu’imposait la course à cette époque.

Le montage final du  film « Continental Circus » ne lui avait pas laissé un souvenir heureux par l’image morbide qui imprègne le récit. La pire saison de Jack, en 1969,  vice–champion 500 cc derrière l’imbattable Giacomo Agostini, fut l’année du tournage et le film ne nous montrait pas beaucoup le plaisir et la jouissance des coureurs. J’avais bien compris du haut de mes 18 ans que la course moto c’était dangereux, on n’en parlait qu’avec cet adjectif seulement à l’époque, et encore et toujours aujourd’hui à l’ère du « principe de précaution ». Quel concept ! 

Depuis 55 ans que je grimpe sur  une moto, c’est la même histoire !

Depuis 55 ans que je grimpe sur  une moto, c’est la même histoire, et surtout en France qui n’a jamais eu une grande culture du sport et à plus forte raison du sport motocycliste.  Même dans le monde de la moto, nombreux sont ceux qui pensent que pour rouler au Tourist Trophy il faut être malade. Sans commentaires. Ou plutôt si, mais là c’est un débat plus large, philosophique. Nanou, elle, admirait définitivement ceux pour la vie n’avaient de sens que dans la réalisation de leur passion, quitte a en payer le prix. Ce qui en fait aussi la valeur ! 

Il aura fallu l’annonce de sa disparition pour que je replonge dans les images de l’interview et qu’une fois le plus, je  constate que c’est la mort qui transforme la vie en destin. Forcément lorsque je réalise un portrait, comme en photo, il faut que je puisse m’identifier un minimum à la personne choisie tout autant qu’elle m’accepte, pour réussir le cliché. 

Et sur le banc de montage,  au fur et à mesure que j’écoutais, choisissais les phrases, les expressions de visage,  je la découvrais, avec son caractère et son regard tranché et assumé sur la   nature humaine et la vie.

Je pensais venir à bout de ce film en quelques jours, et cela fait déjà un mois,  que je termine les dernières retouches, aujourd’hui 6 janvier 2023. Cela me rappelle les séances de mécaniques à l’atelier ou sous l’auvent de la caravane.

Lorsqu’elle évoque ses souvenirs heureux et tristes du Continental, elle y retourne, à l’âge de 90 ans. C’était hier !

Et  m’y emmène à nouveau, me faisant découvrir avec son vécu ce que j’ignorais ou connaissait mal.

Des mots à écouter

Ainsi, j’espère que ces quelques mots vous amèneront à regarder et écouter comment cette femme, forcément lucide sur le dernier tour qu’elle vivait, pouvait exprimer autant de joie et de vie qu’elle nous offrait. C’est peut être ça la différence entre une personne âgée et une vieille personne ? Nanou avait gardé sa fraicheur et ses émotions,  le ton de sa voix l’attestait.

Pour la première fois je fais l’expérience de mettre gratuitement en ligne ce film en espérant que les dons, aussi minimes soient ils, puissent amortir le coût. Continuer à filmer les gens de la course, c’est continuer à vivre ma plus belle histoire d’amour et la partager. Mais ça, c’est peut être le sujet de mon troisième long métrage ?

Mes vœux pour la nouvelle année sont de vous souhaiter un agréable voyage dans un passé habité par nos champions. Merci Nanou.