THIERRY TCHERNINE, le dernier romantique.

Cette fois, l’ami Thierry est parti, une deuxième fois, définitivement !
On dit que les sportifs meurent deux fois. C’est encore plus vrai pour certains. Moi aussi, j’ai du vivre cette étape… Accepter à renoncer, à perdre ce qui nous a donné, pour un temps, une raison de vivre et le sentiment d’être quelqu’un !

Je me souviens avoir été attentif aux arguments qu’avançait Thierry pour justifier son retrait du monde de la course. Il se mariait, fondait un foyer, etc. Mais lorsque je l’ai vu ressortir son cuir quelques années plus tard, j’ai compris que pour lui aussi, arrêter la course serait beaucoup plus difficile que de commencer. …

Faire un parallèle entre la dépendance course-droque est bien tentant, alors que ce sont deux attitudes totalement opposées. J’ai bien trop de respect pour l’homme engagé dans une aventure qu’il  tente de maitriser, tout en acceptant qu’elle peut le dépasser à chaque instant. Thierry avait su trouver ses limites, mais le retour à la « vie civile » semblait beaucoup plus dangereux pour lui.

Bien que la nature fut  plutôt généreuse à son égard, un physique séduisant, du charisme, de la curiosité, je crois que c’est surtout ce don d ‘aller vite sur une moto qui lui a procuré l’intensité de vie dont il avait besoin. Sans oublier de faire la fête, encore et toujours !
L’importance des copains, le besoin de la bande, Maison Alfort était tout aussi vital pour lui que de grimper sur une de ces bombes à roulettes, comme il les appelait.

Comme un grand frère

Si nous furent nombreux à éprouver de l’amitié pour Thierry, en ce qui me concerne  je sais que ce sentiment était avant tout basé sur l’aventure de la course que nous avions partagée durant quelques années. Nos destins se croisaient  et la différence d’âge fit qu’il incarna  une image de grand frère. 

Né en 45, il aura pleinement vécu les trente glorieuses, évité la guerre d’Algérie, vécu le sexe sans danger et réchappé des circuits « naturels ».

Je me souviens, adolescent, être allé sur l’autodrome de  Montlhéry, le dimanche matin pour assister à la première fois à une course de moto. Nous devions être  une poignée de spectateurs, et si je connaissais le nom de Tchernine, c’était d’abord son Cromwell rouge au motif ressemblant à une fourche de diablotin qui m’avait attiré. Il pilotait une Vélocette au cadre bleu, avec un échappement en tromblon sortant sous la jambe !

(Deux ans plus tard, à la côte Lapize, je me lançais pour ma première épreuve aux guidons de ma G50 Matchless, à cadre Norton, et avec  un échappement identique !)

Propre à frapper l’imagination…

Ce jour là, je le voyais pour de  vrai, bavardant avec une jolie blonde, et en arrière plan la Yam TD2 à côté de son Aston-Martin. Il n’en fallait pas plus pour frapper l’imagination du gamin de seize ans que j’étais.

L’étoffe d’un héros romantique…

Une image de héros, romantique. Il en avait l’étoffe. Comme si la course n’était que le prétexte d’une vie faite d’intensité et d’excès. Exister en jouant avec les limites, pour le pur plaisir et qui se transforme parfois en extase. Là il n’est plus question de poudre blanche et de virtuel. Juste de la pulsion de vie.

Le lien entre les générations de pilotes

Thierry était lucide, trop peut être !
Il ne considérait pas la course comme un métier. Il faut dire que lorsqu’il débuta, ce n »était  pas envisageable. Le professionnalisme commença vers les années 74, avec Pons et Rougerie. Thierry faisait le lien. Et si ses résultats, les meilleurs, furent de 73 à 76, il se savait, lui l’ainé, condamné par la génération montante.  Moi, comme les autres, étions  là pour le déboulonner de sa statue. S’il fut pour un temps ma référence nationale, une partie de mon adolescence, la loi de la course est sans pitié.

Rouen, le plus impressionnant !

Il y a maintenant quatre ans, dans un café, à Moulins, sa dernière ville, il me confia qu’il n’avait jamais eu peur. A l’exception du circuit de Rouen, qui l’impressionnait plus que n’importe quelques autres. Un circuit rapide, avec une descente d’enfer entre les rails, le genre d’endroit où les gros cœurs font la différence. Et pourtant c’est ici qu’il brillait. La victoire en 250 après une lutte dantesque avec un Patrick Pons déchainé, doux euphémisme, nous rappelait que Thierry savait cultiver le paradoxe. Forcément doué, mais pas disposer au sacrifice, il aura toujours été entre deux générations de pilotes, entre deux attitudes à l’égard de la course et de la vie.

C’est sur les circuits rapides, qui étaient ses préférés, comme Chimay, Mettet, Spa, que j’ai commencé à me mesurer à lui et le battre. Les grandes courbes et leurs vitesses élevées de passage sont l’aristocratie du pilotage, l’essence de la course et de l’enjeu. Le lieu où la puissance d’un moteur est égale pour tous, et où seul la témérité, la générosité et un peu de folie font la différence. Une quête d’absolue. Thierry possédait un peu tout à la fois.

Je n’oublierais jamais cette arrivée à Mettet, en 250, lorsque que j’ai pu le battre d’une longueur après un dernier tour de rêve en compagnie de  Pons, Chevallier, Mortimer, Baldé, Stadelman et Dodds. Il était un peu contrarié, énervé, mais il ne pouvait pas totalement cacher le respect pour le petit jeune qui se révélait. Nous avions en commun d’avoir misé sur les premiers cadres cantilever construit par son fidèle ami et préparateur de toujours Jacky Germain. J’y voyais tout à la fois un début de complicité et aussi la reconnaissance du pilote français, expérimenté et solide. Un pas décisif était franchit. C’était en 1975…

Après avoir raccroché à mon tour le cuir, je ne l’ai pas revu avant le retour à Assen, en 1998, lors du Centenial TT. Il était présent, avec une 250 Yamaha et Jacky Germain à la mécanique. Le temps, qui s’était arrêté, semblait reprendre son cours ?

Non, l’illusion n’avait duré qu’un week-end. Tout était bien fini, et sur le chemin de retour, dans  ma voiture, je me souviens avoir été  fier de  le conduire jusqu’à son pavillon de Maison-Alfort.

Adieu l’ami…

ll y a maintenant quarante et un ans que je croisai cet homme qui ne me connaissait  pas, et aujourd’hui il n’est plus là pour lire ce que j’ai à dire sur lui. C’est dommage.  Il est parti un 22 février, jour de mon anniversaire.

 © Bernard FAU   (8-02-2023)

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